Limites planétaires et plancher social (théorie du donut)


Comment repenser l'économie pour parvenir à répondre aux besoins humains de base et à la préservation de l'environnement ? Comment remplacer le, semble-t-il, seul et unique indicateur de croissance et de bonne santé des sociétés humaines qu'est le PIB (Produit Intérieur Brut) et ainsi sortir du dogme d'une croissance infinie dans un monde fini ?

En novembre 2018, Kate Raworth, économiste qui se consacre aux défis sociaux et environnementaux du 21ème, publie "La Théorie du Donut, l'économie de demain en 7 principes" après 11 années de travail dans les équipes d'Oxfam Grande-Bretagne. Cette théorie économique propose une réorientation de l'économie vers un modèle plus juste socialement et qui permet de prendre en compte les enjeux environnementaux.

Les 9 limites planétaires sont un concept proposé par une équipe internationale de chercheurs regroupés au sein du Stockholm Resilience Centre. Initialement publié en 2009, les valeurs associées à chacune des limites planétaires sont régulièrement réactualisées. L'équipe du Stockholm Resilience Centre travaille sur cette notion de limites planétaires en modélisant les 9 principaux processus de régulation de l'Holocène qui ont permis une extrême diversification du Vivant et la prospérité de l'espèce humaine. Pour chacun de ces processus, ils sélectionnent une ou plusieurs variables de contrôle comme facteur(s) explicatif(s) majoritaire(s) (par exemple : le CO2 pour le changement climatique) et observent les réponses suivant l’évolution de cette variable de contrôle.

Les 12 fondations sociales (que nous appelerons par la suite les besoins sociaux de base) découlent des priorités reconnues par l'ONU concernant les enjeux sociaux au sein des Objectifs de Développement Durable (ODD). Les ODD sont des objectifs définis en 2015 et adoptés par l'ensemble des pays membre de l'ONU. Ils fournissent une stratégie et des objectifs partagés par les pays, les citoyens et les entreprises.

Prenant en compte ces limites planétaires (constituant un "plafond") et ces besoins sociaux de base (constituant un "plancher"), Kate Raworth propose donc une sorte de donut : une zone viable définie par un équilibre social et environnemental.

Au-delà du modèle proposé pour une économie d'avenir, il est intéressant de faire le constat mortifère à date des résultats du dogme actuel basé sur la croissance infinie : dépassement de 5 des 9 limites planétaires, auxquelles il faut en ajouter 2 sous surveillance et 1 non-encore évaluée, et insuffisance flagrante de la totalité des 12 indicateurs sociaux. La croissance à tout prix a vécu, il est désormais temps de prendre part à la décroissance ou post-croissance.

Le plafond écologique (ou limites planétaires)


Vivre dans un environnement fini, aux limites établies

Le plafond écologique et ses indicateurs de dépassement
Processus du système Terre Variable de contrôle Valeur de référence, ère préindustrielle (holocène) Zone de risque croissant - Frontière planétaire (seuils bas et haut) Valeur actuelle (13/09/2023) Statut
Changement climatique Concentration en dioxyde de carbone dans l'atmosphère, parties par million (ppm) 280 ppm 350 à 450 ppm 417 ppm, en hausse (aggravation) Frontière
atteinte
Augmentation du forçage radiatif en watt par mètre carré (W/m2) par rapport à l'ère préindustrielle 0 W/m2 +1,0 à +1,5 W/m2 +2,91 W/m2 Limite
dépassée
Acidification des océans Etat de saturation de l'eau de mer de surface en aragonite (% de la valeur préindustrielle) Ωarag 3,44 Ωarag 2,75 Ωarag 2,8 Ωarag (soit environ 81% et en baisse) (dégradation) Respectée
Entités nouvelles Pourcentage de produits chimiques synthétiques rejetés dans l'environnement sans tests de sécurité adéquats 0 0 (seuil haut non défini) Dépassé Limite
dépassée
Cycles azote et phosphore Echelle mondiale : quantité de phosphate émis par les systèmes d'eau douce vers les océans, en millions de tonnes (Mt) par an 0 Mt/an 11 à 100 Mt/an 22,6 Mt/an Frontière
atteinte
Echelle régionale : quantité de phosphate dans les engrais épandus sur les sols agricols, en millions de tonnes (Mt) par an 0 Mt/an 6,2 à 11,2 Mt/an 17,5 Mt/an Limite
dépassée
Quantité d'azote réactif rejeté par les activités humaines en millions de tonnes (Mt) par an, à l'échelle mondiale 0 Mt/an 62 à 82 Mt/an 190 Mt/an Limite
dépassée
Utilisation de l'eau douce Eau bleue : perturbations d'origine humaine des écoulements. Limite supérieure (95ème percentile) de la surface terrestre mondiale avec des écarts supérieurs à la période préindustrielle 9,4% (moyenne de la période préindustrielle) 10,2% à 50% (valeur du seuil haut provisoire) 18,2% Frontière
atteinte
Eau verte : pourcentage de la surface terrestre libre de glace dans laquelle l'humidité du sol de la zone racinaire s'écarte de la variabilité naturelle observée au cours des 11 000 dernières années 9,8% (moyenne de la période préindustrielle) 11,1% à 50% (valeur du seuil haut provisoire) 15,8% Frontière
atteinte
Changement d'usage des sols Echelle mondiale : rapport entre la superficie forestière actuelle et la superficie forestière "originelle" (avant 1700)
Biome : rapport entre la superficie forestière actuelle du biome et la superficie forestière "originelle" du biome (avant 1700)
100% - Global : 75 à 54% (moyenne pondérée des trois limites de biomes individuels)
- Biome tropical 85 à 60%
- Biome tempéré 50 à 30%
- Biome boréal 85 à 60%
- Global : 60%
- Tropical : Amériques (83,9%) ; Afrique (54,3%) ; Asie (37,5%)
- Tempéré : Amériques (51,2%) ; Europe (34,2%) ; Asie (37,9%)
- Boréal : Amériques (56,6%) ; Eurasie (70,3%)
Frontière
atteinte
Intégrité de la biosphère Diversité spécifique : taux d'extinction par million d'espèces par an (E/MEA) 1 E/MEA 10 à 100 E/MEA > 100, en hausse (aggravation) Limite
dépassée
Diversité fonctionnelle : énergie disponible pour les écosystèmes à travers la part de la production primaire nette annuelle de la biosphère (PPN expérimée en Gt de carbone / an, Gtde C/an) accaparée par l'homme (HANPP exprimé en % de la PPN préindustrielle) 1,9% de la production primaire nette de la biosphère (estimée à 55,9 Gtde C/an) est prélevée par l'homme 10 à 20% HANPP (production primaire nette de la biosphère est prélevée par l'homme) 30% HANPP (16,8 Gtde C/an prélevées en 2020 / 55,9 Gtde C/an produites en moyenne avant l'ère préindustrielle) Limite
dépassée
Aérosols Différence interhémisphèrique dans l'épaisseur optique d'aérosols (AOD) 0,03 0,1 à 0,25 0,076 Respectée
Ozone stratosphérique Concentration d'ozone dans l'atmosphère mesurée en unités Dobson (DU) 290 DU 276 à 261 DU 284,6 DU et en hausse (amélioration) Respectée

Le changement climatique

Quand les gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone, le méthane et l'oxyde d'azote sont rejetés dans l'air, ils pénètrent dans l'atmosphère et amplifient l'effet de serre naturel de la Terre, emprisonnant davantage de chaleur dans l'atmosphère. Il en résulte le réchauffement de la planète, dont les effets incluent la hausse des températures, des extrêmes climatiques plus fréquents et la montée du niveau des océans.

L'acidification des océans

Environ un quart du dioxyde de carbone émis par l'activité humaine finit par se dissoudre dans les océans, où il forme de l'acide carbonique et diminue le pH de l'eau de surface. Cette acidité réduit la disponibilité des ions carbonate, essentiels pour la formation de la coquille et du squelette de beaucoup d'espèces marines. Quand cet ingrédient fait défaut, des organismes comme les coraux, les coquillages et le plancton ont du mal à se nourrir et à survivre, ce qui met en danger l'écosystème des océans et sa chaîne alimentaire.

La pollution chimique

Quand des composés toxiques, comme les polluants organiques synthétiques et les métaux lourds, sont rejetés dans la biosphère, ils peuvent y persister très longtemps, avec des effets parfois irréversibles. Et lorsqu'ils s'accumulent dans les tissus de créatures vivantes, comme les oiseaux et les mammifères, ils réduisent la fertilité et causent des altérations génétiques, mettant en danger les écosystèmes sur terre et dans la mer.

La charge d'azote et de phosphore

L'azote réactif et le phosphore sont largement utilisés dans les engrais agricoles, mais seule une petite proportion profite réellement aux récoltes. L'essentiel de l'excédent s'écoule dans les rivières, les lacs et les océans, où il cause la prolifération d'algues qui rendent l'eau verte. Ces algues peuvent être toxiques et tuer les autres formes de vie aquatique en les privant d'oxygène.

Les prélèvements d'eau douce

L'eau est essentielle à la vie et elle est largement utilisée par l'agriculture, l'industrie et les ménages. Un usage excessif peut néanmoins endommager ou même assécher les lacs, les fleuves et les nappes phréatiques, nuisant aux écosystèmes et transformant le cycle hydrologique et le climat.

La conversion des terres

Convertir le sol en vue d'une utilisation humaine - transformer forêts et marécages en villes, en terres agricoles et en autoroutes - rend la Terre moins capable d'absorber le carbone, détruit un riche habitat naturel et sape le rôle de la terre dans le cycle constant de l'eau, de l'azote et du phosphore.

La perte de biodiversité

Un déclin dans le nombre et la variété des espèces vivantes nuit à l'intégrité des écosystèmes et accélère l'extinction de certaines espèces. Du même coup, cela augmente le risque de transformation abrupte et irréversible des écosystèmes, réduisant leur résilience et sapant leur capacité à fournir de la nourriture, du combustible et des fibres, et à soutenir la vie.

La pollution de l'air

Les microparticules, ou aérosols, émis dans l'air - comme la fumée, la poussière et les gaz polluants - peuvent endommager les organismes vivants. De plus, elles interagissent avec la vapeur d'eau présente dans l'air et affectent donc la formation des nuages. Emis en grande quantité, ces aérosols peuvent modérer considérablement la pluviométrie d'une région, notamment en changeant la date et la localisation de la mousson dans les zones tropicales.

L'épuisement de la couche d'ozone

La couche stratosphérique d'ozone filtre les rayons ultraviolets du soleil. Certaines substances chimiques fabriquées par l'homme, comme les chlorofluorocarbones, peuvent entrer dans l'atmosphère et détruire la couche d'ozone, ce qui expose la Terre et ses habitant aux dangereux rayons ultraviolets du soleil.

Le plancher social


Assurer à chaque être humain une vie digne et saine

Le plancher social et ses indicateurs de pénurie
Dimension Indicateurs illustratifs (% de la population mondiale, sauf mention contraire) % Année
Nourriture Population sous-nourrie 11 2014-2016
Santé Population vivant dans des pays où le taux de mortalité des moins de 5 ans dépassent 25 naissances pour 1000 46 2015
Population vivant dans des pays où l'espérance de vie à la naissance est inférieure à 70 ans 39 2013
Education Population adulte (15 ans et plus) illettrée 15 2013
Enfants de 12 à 15 ans non scolarisés 17 2013
Revenu et travail Population vivant en dessous du seuil international de pauvreté (3,10 dollars par jour) 29 2012
Proportion de jeunes (15 à 25 ans) qui cherchent un emploi sans pouvoir en trouver 13 2014
Eau et assainissement Population sans accès à une eau 9 2015
Population sans accès à un assainissement amélioré 32 2015
Energie Population n'ayant pas un accès suffisant à l'électricité 17 2013
Population n'ayant pas un accès suffisant à des installations de cuisine propre 38 2013
Réseaux Population déclarant n'avoir personne à qui demander de l'aide en période difficile 24 2015
Population sans accès à Internet 57 2015
Logement Population urbaine mondiale habitant un bidonville dans un pays en développement 24 2012
Egalité des sexes Ecart de représentation entre hommes et femmes au Parlement 56 2014
Ecart mondial des salaires entre hommes et femmes 23 2009
Equité sociale Population vivant dans un pays ayant un indice de Palma de 2 ou plus (part de revenu des 10% les plus riches par rapport aux 40% les moins riches) 39 1995-2012
Représentation politique Population vivant dans un pays obtenant 0,5 ou moins sur 1,0 dans l'indicateur voix et responsabilité 52 2013
Paix et justice Population vivant dans un pays obtenant 50 ou moins sur 100 dans l'indicateur de perception de la corruption 85 2014
Population vivant dans un pays ayant un taux d'homicide de 10 pour 100 000 ou plus 13 2008-2013

Aspect systémique


Les différents processus de régulation interagissent entre eux : la perturbation de l'un affecte la régulation et/ou la résilience des autres. Par exemple, la déforestation impacte directement le changement d'utilisation des sols qui contribue à la perte de la biodiversité.

Donut systémique